Il existe des systèmes de jeu de rôle sans hasard. Ladies, comme de nombreux jeux, a fait le choix d’incorporer celui-ci dans son système de résolution.
Le titre parle des dés, mais cet article concerne aussi les autres formes permettant d’incorporer des probabilités au sein de l’histoire.
Pourquoi le hasard a-t-il été incorporé ?
Les auteurs du jeu ont fait le choix que leur système devait incorporer une part de hasard. Ce choix n’est certainement pas innocent.
Derrière celui-ci il existe une philosophie qui se répercute sur l’univers, un élément intrinsèque qu’il serait difficile de renier sans renier une part de l’univers.
Le meneur est libre de modifier l’univers s’il le juge pertinent car il créé une intrigue à destination d’un public de joueurs. Comme tout metteur en scène, il peut se permettre d’omettre des règles, de les détourner… Mais cela fait partie du processus préalable à la création elle-même.
Si l’on refuse le hasard, c’est à ce moment là qu’il faut poser cette règle.
Une fois autorisée, la (mal)chance fait partie du contrat implicite – les règles du jeu définies en début de partie – entre joueurs et meneurs.
Quand faire appel au hasard, par rapport à mon histoire ?
Une fois que l’on accepte d’incorporer le hasard, la question se pose de « quand » l’utiliser. La réponse que je donne ici est un argument d’autorité.
« Vous faites appel à celui-ci quand le résultat d’une action vous est inconnu ».
Évidemment, ce dogme est contestable. Mais demandez-vous, lorsque vous désirez l’enfreindre « pourquoi l’enfreindre ? ».
Quand faire appel au hasard, par rapport à mes joueurs ?
Les joueurs doivent cependant rester maîtres de leurs personnages. Qu’importe si l’action tentée n’a qu’une chance sur mille, une chance sur dix mille, de réussir… si l’idée est dangereuse, elle est quand même proposée. Il faut la jouer (sauf si elle est incohérente avec le personnage, auquel cas le meneur peut parler avec son joueur pour savoir son personnage tente réellement cette action).
L’échec assuré n’est pas une bonne solution. Si le joueur veut tenter, qu’il essaie… Des fois, la chance est du bon côté… et un rebondissement inattendu permet alors de créer de nouvelles pistes narratives.
N’oubliez pas que nous sommes dans un jeu de rôle, l’aspect ludique est aussi important que l’aspect narratif… Vos joueurs sont aussi là pour celui-ci.
Quand lancer les dés ?
Lancer les dés (ou tirer une carte, piocher un jeton, etc.) n’est pas un acte anodin. Il fait partie de la vie autour de la table. Le moment où l’on lance les dés implique une modification du paradigme dans lequel les personnages évoluent.
Lancer les dés est toujours un point de tension narrative (aussi minime soit-il).
Il existe deux raisons de lancer les dés. La première, nous l’avons vu, est de résoudre un point litigieux dans l’évolution de l’histoire ; la seconde raison essaye d’imiter la première sans en apporter les conséquences.
En lançant (ou faisant lancer) les dés, on créé la même tension : les joueurs ignorent que le hasard est « simulé » : pour eux, la situation nécessite une résolution, il y a donc suspense.
Une veillée nocturne dans un vieux manoir ? Faites lancer les dés sur des attributs Oeil même s’il n’y a rien à voir. Bien que le résultat soit défini à l’avance, les joueurs (et leurs personnages) doivent rester dans l’ignorance.
Ce procédé, « faire du bruit derrière le paravent », est utile pour créer une tension. Mais en l’utilisant trop copieusement, il perd de sa puissance ludique.
Les deux cas sont strictement distincts : le premier veut résoudre une situation et correspond à un objectif narratif, le second n’a aucun but résolutif et assure un objectif ludique. Savoir dans quelle situation l’on se trouve est une condition préalable au lancer de dé.
Mon résultat ne me plaît pas !
Bien qu’il ne plaise pas, ce résultat est celui que vous avez obtenu pour résoudre la situation que vous ne saviez pas résoudre. Vous entendrez souvent des meneurs dire alors : « Je le modifie pour rester dans mon scénario » en se donnant raison à l’aide d’un dogme : « Le meneur a toujours raison ».
C’est mal comprendre, à mon sens, ce postulat.
« Le meneur a toujours raison » implique aussi et surtout qu’il a raison face à lui-même. Au moment où il se dit « Mon résultat ne me plaît pas », il devrait aussi se dire : « Au moment où j’ai lancé les dés, je pensais avoir raison. Je ne peux plus me contredire. »
Mais… et si le résultat est vraiment gênant ?
Posez-vous alors la question de « Pourquoi ai-je lancé les dés ? ».
La réponse vous permettra d’améliorer votre technique en tant que maître du jeu pour ne plus vous retrouver dans cette situation (ou moins fréquemment, du moins) et elle vous permettra aussi et surtout de ne pas « tricher » en relançant les dés et de renforcer ainsi votre statut d’arbitre neutre et de metteur en scène intangible. L’influence que vous exercez sur le jeu est réelle, mais plus vous donnez l’impression que les joueurs ont le contrôle, plus ils seront pris dans la partie. En « trichant », vous supprimez une partie de ce contrôle.
La raison principale est déjà de croire être dans la première situation (narrative) alors qu’il n’est que dans la simulation (ludique) : l’événement devait arriver, la forte probabilité de réussite motivait le lancer… et l’échec improbable déstabilise. En réalité, il fallait jouer cet élément comme une simulation ludique : le lancer n’a aucune importance narrative, il est là pour créer une situation de stress.
Très souvent aussi, il ne s’est pas posé la bonne question lorsqu’il lance les dés. Le problème de la réussite ou de l’échec d’une action couvre la très grande majorité des cas. Cette répétition de tests similaire donne l’impression qu’il s’agit du seul test possible.
Pourtant, est-ce réellement le cas ?
Le test d’échec/réussite implique soit un échec, soit une réussite de l’action. Les à-cotés sont des bonus éventuels. Et si…
Et si, au final, ce n’était pas cela le problème ? Celui d’avoir tellement l’habitude de poser les questions en terme de réussite et d’échec que l’on oublie les à-cotés ?
Le grand méchant doit fuir la scène devant les personnages. Le meneur décide de lancer les dés. Il décide qu’il s’agit d’une situation narrative et non d’une situation ludique… et là, c’est le drame, l’échec !
Tout d’abord, on pourrait se poser la question de pourquoi le lancer est considéré comme narratif et non comme ludique par le meneur.
Cette scène semble importante pour l’histoire, c’est un nœud de l’intrigue. La traiter uniquement comme une scène ludique et non narrative pourrait lui faire perdre de son impact.
Pourtant, de l’autre côté, l’antagoniste doit réussir sa fuite pour la suite de l’histoire – du moins le jugez-vous ainsi. L’échec n’est alors pas tolérable.
La question, en réalité, n’est plus « Est-ce que le méchant s’enfuit ? » mais « Dans quelle mesure réussit-il sa fuite ? » ou « Réussit-il une fuite remarquable ? »
L’échec ne devient plus l’échec de l’action en elle-même mais la plus petite réussite possible.
L’échelle classique « échec critique / échec / réussite / réussite critique » continue d’exister sur cette seconde question ; mais sur la première, elle subit une transformation sémantique vers « réussite minable / réussite passable / réussite / réussite extraordinaire ». Cette qualité peut impacter différents aspects : la beauté de l’action en elle-même (« Il tombe dans les escaliers, se relève en sang et crache deux dents avant de disparaître » / « Il glisse le long de la rampe, saute sur le lustre et profite de l’élan pour sauter au travers de la fenêtre »); de la répercussion sociale de celle-ci (« Toute la ville ricanera de cette fuite honteuse » / « Sa fuite théâtrale fait la une des journaux. La honte s’abat sur la police ») ou encore de la rapidité de l’action (« Durant sa fuite éperdue d’un étage à l’autre, d’une cachette à l’autre, les fausses pistes lui font perdre la notion du temps… Quoi déjà la nuit ? » / « D’instinct, il savait où aller. L’eût-il voulu, il n’aurait pu sortir plus vite de ce labyrinthe. Sa journée ne faisait que commencer ! »).
Comme vous le voyez, les façons de prendre en compte un résultat du hasard, même (et surtout) défavorable existent. Elles vous forceront même à détailler une réussite automatique d’un événement pour la rendre plus profonde, plus réelle.
D’autant plus que l’aspect « c’est comme cela, et c’est non-négociable » a tendance à déconnecter le joueur de son immersion. En changeant un lancer de dés, vous quittez le dialogue univers/personnage pour rentrer dans un dialogue meneur/joueur. En changeant la question a-priori (ou si nécessaire a posteriori), vous évitez une telle situation de rupture d’immersion et vous vous permettez même, en prime, d’améliorer celle-ci. Alors pourquoi se priver ?
Que retirer de cela ?
Savoir exactement quand, comment et pourquoi faire appel au hasard permet au meneur de mieux remplir ses fonctions narratives et d’assurer son statut de metteur en scène détaché du plateau de jeu.
Respecter les dés, quand le jeu implique du hasard, c’est se forcer à améliorer ses techniques de maîtrise… Les joueurs ne verront peut-être pas la différence sur une ou deux parties, mais sur le long terme, cette capacité à savoir comment gérer la tension liée aux dés deviendra un outil puissant à votre service.